Témoignage TCA

témoignage tca

On dira ce que l’on veut des réseaux sociaux, j’y apprends beaucoup. En suivant des hashtags sur la nutrition, les troubles du comportement alimentaire, j’ai découvert @appetitlibre.

Je vois cette femme avec une énergie incroyable raconter son histoire, pointer du doigts les comportements dangereux. Tout cela avec beaucoup d’humour, de bienveillance … Et une pointe d’irascibilité qui m’a tout particulièrement touchée. Ok. C’est mon interprétation .  Mais je crois que c’est justement ce qui est si percutant dans ses messages. On en rigole … Mais il est insupportable de constater que tout les facteurs de risque de troubles du comportement alimentaire soient si méconnus (ignorés ?).

Alors j’ai osé. Je lui ai écrit sur Instagram pour lui demander si elle accepterait de répondre à quelques questions pour nous. J’espère que vous apprécierez autant que moi le temps qu’elle nous a accordé, c’est si bien écrit !

Peux-tu te présenter comme tu en as envie ?

Je m’appelle Caroline, j’ai 35 ans. J’ai souffert d’anorexie pendant la moitié de ma vie.

Je suis médecin anatomopathologiste (si la curiosité vous pique, je vous laisse demander à Google car ça serait trop long de m’étendre là-dessus ici).

Je suis également maman d’une petite fille de bientôt 3 ans et je suis actuellement enceinte de 4 mois.

Dans la vie, j’aime rire et la musique ce qui explique mon amour pour le piano, le théâtre et le karaoké. J’aime aussi manger et cuisiner, découvrir de nouvelles saveurs. D’ailleurs, j’adore voyager tout court mais quand je voyage, la découverte de la gastronomie locale fait partie intégrante du voyage.

Quelle est ton histoire personnelle avec les TCA ?

Tout a commencé entre le collège et le lycée, vers mes 15 ans, où j’ai voulu perdre 2-3 kilos pour me sentir plus confiante, d’avantage plaire aux garçons. Je n’étais absolument pas la fille populaire mais je n’étais pas non plus victime de grosses insultes, quelques petites piques par ci par là du style « intello ». Je précise que je pesais 52 kg pour 1.63m et que donc je n’avais pas fondamentalement besoin de perdre du poids. Cependant un jour, j’ai remarqué sur une photo, que mon ventre était un peu trop gros à mon goût, il n’avait pas l’air aussi plat que ce que les médias et la société nous imposent, et je me suis alors décidé à faire des abdos régulièrement, du sport et de faire attention à ce que je mangeais. C’est comme ça que j’ai sans m’en rendre compte basculé dans l’anorexie car la nourriture est devenue mon obsession numéro 1 tout en devenant également mon ennemie.

Heureusement, je n’ai pas perdu plus de 10 kilos car mes parents se sont vite alertés (j’ai une sœur qui est tombée dans une anorexie très sévère avant moi et elle a été hospitalisée plusieurs mois). Ils m’ont donc rapidement emmené consulter un médecin endocrinologue. Ce qu’il m’a alors proposé, était une sorte de chantage : tu reprends X kilos sinon ça sera l’hospitalisation. Ayant vu ma sœur hospitalisée sans aucune visite ni téléphone pendant de longues semaines, j’ai eu très peur, et j’ai donc repris ces kilos en me forçant tout en ayant la boule au ventre et la peur de grossir trop. Je me suis donc mis à compter mes calories dans le but de contrôler cette reprise de poids et pour être sûre de ne pas manger trop. Je m’étais donc fixé comme apport calorique journalier entre 2000 et 2200, ce qui m’a permis de revenir à environ 48-49 kg et tout le monde m’a laissé tranquille.

J’ai donc continué pendant de longues années à contrôler mon alimentation de cette façon avec un apport calorique variant entre 1800 et 2400 calories selon ce que je pensais de mon poids et de mon corps. De la même façon mon poids est longtemps resté stable entre 45 et 49 kilos et donc tout le monde et le corps médical pensait que c’était mon poids d’équilibre. 

J’ai pu mener mes études et faire ma vie même si dans les situations sociales, c’était extrêmement dur de s’adapter au fait que j’ignorais tout des calories. Je le vivais toujours comme un enfer et petit à petit je m’isolais car j’évitais les situations où il fallait manger sans que je puisse contrôler les calories.

Plus tard, j’ai fait évoluer mon trouble en mangeant toujours la même quantité de calories mais en une prise par jour, pour avoir un gros volume à manger d’un coup. Ça a vraiment marqué un tournant dans ma maladie car j’étais en quelques sortes aux frontières de la boulimie. Je ressentais ce besoin de me remplir mais je n’ai jamais pu lâcher le contrôle et j’avais trouvé ma solution/parade à moi qui est de manger une fois par jour. L’absence de perte de contrôle lors de cette prise alimentaire fait que je ne me suis jamais considérée comme anorexique-boulimique même si les quantités étaient parfois énormes et que je souffrais de maux d’estomac. Pour le reste, je n’ai jamais vomi mais j’avais des stratégies compensatoires puisque je jeûnais jusqu’à mon prochain et unique repas journalier et que je faisais beaucoup de sport.

Je me suis finalement rendue compte du vrai problème en arrêtant la pilule que je prenais depuis mon adolescence pour justement pallier l’aménorrhée et prévenir l’ostéoporose. A l’arrêt de la pilule, j’ai non seulement pas retrouvé mes règles mais en plus développé une ostéoporose et des fractures. Finalement, pour avoir un enfant, avec mon mari, on a dû avoir recours à la PMA. Ce n’est qu’à la naissance de ma fille, que j’ai eu le désir profond de m’en sortir et de lâcher totalement le contrôle que j’exerçais sur mon corps.

Selon toi, quelles sont les raisons de l’apparition des troubles ?

J’ai eu une enfance pas facile avec une mère dépressive et alcoolique. Cependant, je ne pense pas que ce soit réellement la raison principale qui m’ait fait tomber dans cette maladie. C’est un facteur qui rentre en compte, c’est certain, mais pas le principal.

D’après moi, les injonctions faites aux femmes et la pression qu’on a de devoir être désirable pour les hommes m’a fait réellement basculée. Si on ajoute à cela, une faible estime de soi, un manque de confiance en soi qui s’était aggravées, me concernant, à l’adolescence (mais comme beaucoup je crois), voir qu’on ne plaît pas à ses pairs, c’est terrible, et forcément on se remet en question. On cherche à être conforme aux diktats en vigueur. Pour ma part, en même temps que cette perte de poids initiale à l’âge de 15 ans, j’ai aussi essayé de changer de look, de me maquiller, d’avoir des habits plus à la mode etc… C’est en ça que je pense que mon trouble est vraiment lié à ce désir d’être approuvée, intégrée, valorisée, de plaire tout simplement.

Si les troubles avaient une fonction, à quoi te servaient-ils ?

Mon trouble m’a fait me sentir forte et plus sûre de moi. Car ces changements que j’avais opéré en moi ont vite plu. Et j’ai alors remarqué que j’étais plus désirable dans le regard des autres. Ce qui n’a fait que renforcer la maladie alors que ce n’était peut-être que le changement de look qui avait provoqué ça.

Et donc, progressivement, je me suis construite ma vie de jeune adulte dans ce contrôle, ce qui m’a donné de l’assurance et de la confiance en soi.

Il y a peut-être aussi une fonction de remplir un vide. En tout cas, c’est une fonction que j’ai découverte en voulant guérir, alors je ne pense pas que c’était la fonction première. C’est plutôt en lien avec le fait que la maladie m’avait isolée et que du coup, elle remplissait ce vide social et affectif.

Penses-tu qu’il existe une pente glissante vers l'anorexie, à laquelle tout le monde devrait être vigilant ?

Oui, pour moi il existe une pente glissante que tout le monde peut franchir lors d’une perte de poids intentionnelle. Ce que je mets derrière ce terme, c’est le fait de vouloir perdre du poids en agissant consciemment sur son alimentation et en se déconnectant de ses signaux corporels de faim, satiété et rassasiement et je l’oppose donc à la perte de poids non intentionnelle à la suite d’une maladie grave, un deuil, une dépression, un divorce où la personne perd réellement l’appétit et donc du poids à cause des circonstances. Dans la perte de poids intentionnelle, on va chercher à lutter contre sa faim pour manger moins et perdre du poids, et c’est en cela, que c’est très dangereux car ça peut provoquer chez beaucoup de personnes une déconnection de ses signaux de faim et de satiété et conduire au minimum à une alimentation troublée.

J’irai plus loin en disant que même en respectant sa faim et sa satiété, si on catégorise les aliments en bons ou mauvais/à éviter, c’est dangereux tout autant, de la même façon que si on considère l’alimentation comme une récompense ou si on pense qu’on doit « gagner » ou « mériter » sa nourriture en faisant du sport par exemple.

Cependant, je pense que pour basculer d’une alimentation troublée à l’anorexie proprement dite, avec une vraie phobie de manger, il y a d’autres facteurs notamment biologiques, génétiques, hormonaux encore méconnus qui expliquent que certaines personnes vont tomber dans l’anorexie et pas d’autres.

Mais pour l’alimentation troublée qui est actuellement considérée également dans le spectre des TCA, ça concerne tout le monde et personne n’est à l’abri, surtout dans notre société, où beaucoup de choses sont basées sur l’apparence.

Tu as un compte Insta où tu parles de TCA. Comment t’es-tu lancé dans cette aventure ?

Je me suis lancée dans un compte insta après un an et demi de vraie guérison avec le sentiment d’avoir parcouru un sacré chemin, une certaine fierté, et l’envie de partager mon combat pour aider les autres, leur montrer que le chemin est difficile mais que ça en vaut largement la peine.

Ce compte insta : c’est pour toi ? Pour les autres ? Les deux ?

Avant tout pour les autres, enfin c’est la motivation qui m’a amenée à le créer. Après, je me suis rendue compte que c’était très chouette aussi pour moi et comme avant je n’allais pas vraiment sur insta, j’y ai trouvé beaucoup de ressources et de comptes intéressants sur les TCA et d’autres sujets connexes qui m’ont aidé dans la poursuite de ma guérison.

Est-ce que tu as envie de partager un message aux lecteurs de cette ITW ?

Si vous souffrez avec votre alimentation et votre corps, que vous ayez un diagnostic de TCA ou non, c’est primordial d’en parler et d’aller demander de l’aide. Sans aide extérieure, je pense qu’on ne s’en sort jamais complètement. On peut améliorer sa situation mais aussi rester engluer dans une espèce de pseudo-confort de maladie qui va finir par être une souffrance.

De la même façon, si vous ne vous reconnaissez pas dans les définitions standards des TCA typiques, ça ne veut pas dire que vous n’avez pas de problème. Moi-même, au vu de mon histoire, je trouve qu’il m’a fallu un certain courage pour m’affirmer comme souffrante d’anorexie car je n’avais pas un IMC en dessous de 16, je mangeais 2000 calories par jour et je ne me faisais pas vomir. Oubliez les clichés, si vous souffrez, vous êtes légitime, peu importe le mot ou le diagnostic qu’on met derrière, vous êtes en souffrance avec votre alimentation et méritez de l’aide.

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